
06/02/2019 par LC Expert immobilier - Expert en évaluations immobilières 0 Commentaires
L'indemnité d'éviction
Lorsque le bailleur refuse le renouvellement d'un bail commercial portant sur des locaux commerciaux ou lorsqu'il reprend les locaux loués, il est tenu de payer au locataire une indemnité d'éviction, à condition qu'il remplisse les conditions du droit au renouvellement du bail.
Cette indemnité peut tout à fait être fixée à l’amiable entre les seuls propriétaires et bailleur, toutefois dans la pratique elle est, le plus souvent, fixée par un expert tant cette opération peut être complexe.
En cas de désaccord, il n’est pas rare qu’elle soit fixée par le Tribunal qui se basera sur l’évaluation d’un expert judiciaire indépendant des deux parties. Le juge du fond est souverain pour fixer le montant de l’indemnité d’éviction cependant il doit préciser les éléments du fonds qu’il entend réparer et chiffrer les préjudices sans les forfaitiser.
I. Conditions
L'acte donnant congé au locataire doit, sous peine de nullité, en préciser les motifs et indiquer que le locataire peut le contester ou demander une indemnité d'éviction, en saisissant le tribunal dans les deux ans.
L'indemnité d'éviction doit couvrir l'intégralité du préjudice causé. Elle est le plus souvent évaluée par un expert dans le cadre d'une procédure judiciaire. Généralement, l'indemnité correspond à la valeur vénale du fonds ou à la valeur du droit au bail, si celle-ci est supérieure. Si l'éviction entraîne la disparition pure et simple du fonds (perte totale de la clientèle), l'indemnité doit correspondre à la valeur de remplacement du fonds.
En revanche, si l'exploitation du fonds peut se poursuivre dans des locaux équivalents, parce que la clientèle est attachée au locataire, c'est une indemnité de déplacement qui est due.
L'indemnité d'éviction n'est pas due si :
- le bailleur peut justifier d'un motif grave et légitime à l'encontre du locataire,
- l'immeuble en état d'insalubrité reconnue par l'autorité administrative doit être totalement ou partiellement démoli ou s'il est établi qu'il ne peut plus être occupé sans danger en raison de son état.
En cas de reconstruction par le propriétaire ou son ayant droit d'un nouvel immeuble comprenant des locaux commerciaux, le locataire a droit de priorité pour louer dans l'immeuble reconstruit.
II. Comment est calculé le montant de l’indemnité d’éviction ?
Cette indemnité est constituée d’une indemnité principale complétée le plus souvent par des indemnités accessoires.
L’indemnité principale est :
- soit une indemnité de remplacement qui est une indemnité pour indemniser la perte du fonds de commerce ;
- soit une indemnité de transfert qui est alors une indemnité de déplacement.
A. L'indemnité principale
La distinction tient à la perte ou non de la clientèle.
1. Le critère de transférabilité
Les experts accordent une place primordiale au critère de transférabilité, découlant de la dépendance ou non de l’activité au site.
Ce critère apparaît tant au regard du type de clientèle, que de l’état du marché locatif. Il peut faire varier grandement la valeur de l’indemnité. Ainsi, si on estime que la clientèle pourra suivre le fonds, ce dernier est donc transférable. C’est la solution la moins couteuse pour le bailleur. L’indemnité sera alors une indemnité « de transfert », limitée aux seuls frais de déplacement nécessaires pour déplacer l’activité, comme les frais de déménagements, de transports de marchandises, etc. C’est souvent le cas pour des fonds de commerce à l’activité spécifique, ou de forte renommée, dont la clientèle est prête
à se déplacer. On peut citer par exemple les activités de gros, les activités sans visibilité exercées en étage ou dans une cour, etc. A l’inverse, dans le cas d’un fonds non-transférable, l’indemnité sera une indemnité « de remplacement ». Il s’agira ici de rembourser la valeur du fonds dans son intégralité, car, privé de son emplacement géographique, celui-ci n’aura plus aucune valeur. On peut citer comme exemples les commerces de proximité, les commerces de bouche dont la clientèle est constituée par les habitants du quartier et la clientèle de passage. La caractéristique irremplaçable des lieux peut également justifier une indemnité de remplacement tel fut le cas par exemple d’un restaurant parisien situé dans une tour surmontée d’un dôme en verre dont la décoration intérieure avait été réalisée par un peintre important.
Dans le cas spécifique où subsiste une incertitude sur la transférabilité totale du fonds de commerce, les juges vont dans le sens de la prise en compte d’une perte totale du fonds, à l’avantage du preneur. Il est donc fortement conseillé pour le bailleur de s’intéresser à ce critère avant même que celui-ci donne congé à son preneur, afin de bien mesurer les conséquences d’un tel acte. Il est d’ailleurs rappelé que c’est au propriétaire d’établir la possibilité de transfert du fonds de commerce. Ainsi par exemple des fonds de commerce dont l’ouverture est conditionnée à une autorisation administrative tels que les crèches, les débits de tabac, les fonds industriels qui comportent des installations classées pour la protection de l’environnement, etc.
Lorsque le non-renouvellement du bail entraîne la disparition totale du fonds de commerce (cas de commerce de proximité pour lesquels la clientèle est attachée au lieu d'exploitation), le locataire a droit à une indemnité de remplacement.
Cette indemnité est destinée à compenser la perte du fonds de commerce et à permettre au locataire d'acquérir un fonds de valeur identique. Elle correspond en général à la valeur marchande du fonds, fixée suivant les usages de la profession. Il peut arriver que la valeur du droit au bail soit supérieure à la valeur du fonds, en raison par exemple de la situation exceptionnelle du local. L'indemnité doit alors être égale à la valeur du droit au bail.
Lorsque l'éviction n'entraîne pas la disparition complète du fonds, c'est une indemnité moindre, dite de déplacement ou de transfert, qui doit être versée.
Elle doit notamment tenir compte :
- du transfert du fonds, conséquence de l'installation du locataire dans de nouveaux locaux, sans perte (ou perte partielle) de la clientèle,
- de la valeur du droit au bail de l'ancien local,
- éventuellement du coût d'un nouveau pas-de-porte.
Si le coût du déplacement est supérieur à la valeur même du fonds, l'indemnité est limitée à la valeur de remplacement.
Pour un locataire exerçant une activité de bureau de change et de vente de métaux précieux, les tribunaux ont considéré que l’éviction de ce locataire n’entraînerait pas de perte de fonds de commerce (CA Paris, 7 mars 2012, n° 07/02915). Les juridictions ont également considéré que l’éviction d’un studio audio-visuel (CA Paris, 10 juillet 2013, n° 11/09938) ou de locaux industriels (CA Versailles, 29 janvier 2013, n° 11/05943), ne sont pas de nature à entraîner une perte de fonds de commerce. En revanche, les tribunaux ont considéré que l’éviction d’une agence immobilière était de nature à entraîner une perte de fonds de commerce, en raison de la perte de clientèle qui n’est pas transférable (CA Caen, 16 mars 2017, n° 15/01030).
La valeur du droit au bail peut être égale à zéro, notamment pour les locaux à usage de bureau ou les locaux industriels pour lesquels le prix du loyer contractuel est équivalent à la valeur locative de marché. À cet égard, il convient de relever que le droit au bail peut être agrémenté d’une plus-value en fonction de la situation des lieux loués. Ainsi, un preneur a obtenu un droit au bail augmenté d’une plus-value en raison de l’appartement qui était adossé aux locaux évincés et de la perte de jouissance d’un jardin pour lequel il bénéficiait d’une jouissance exclusive (CA Versailles, 22 novembre 2016, n° 15/06233)
2. L’évaluation de la valeur du fonds
Pour ce qui est du détail de la méthode d’évaluation utilisée pour évaluer la valeur du fonds de commerce, il faut savoir qu’il n’y a pas de définition légale. Le juge procède donc au cas par cas mais il ressort de la pratique que l’estimation est opérée en rapprochant plusieurs méthodes.
On peut citer l’estimation par le chiffre d’affaires, le taux sur recettes, par le résultat, par actualisation des flux, par comparaison directe, etc. La constante de ces méthodes est l’utilisation des éléments chiffrés des trois derniers exercices connus. Le juge ne peut pas raisonner par projection de résultats.
3. La date d’évaluation du fonds
La date d’évaluation est fixée à la date la plus proche du jour auquel devient effective l’éviction soit à la date de l’éviction elle-même ou à la date où le locataire cesse d’occuper régulièrement les lieux.
Lorsque le locataire n’a pas quitté spontanément les lieux en raison du droit au maintien dans les lieux que lui accorde la loi jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction, le juge retiendra une évaluation au jour du jugement. On notera que ce droit au maintien se fait aux clauses et conditions du bail expiré. Cette règle s’impose à l’acquéreur de l’immeuble qui n’a pas été à l’origine du congé et même si ce n’est pas lui qui est tenu du paiement.
4. Le cas particulier du fonds déficitaire
Ce n’est parce que la situation d’un fonds est déficitaire que cela exclut une indemnité d’éviction. En effet, le droit au bail constitue une indemnisation minimale.
B. Les indemnités accessoires
Des indemnités accessoires peuvent également être dues, en plus de l'indemnité de remplacement ou de déplacement, notamment :
- frais de déménagement, frais de réinstallation, pour mettre en place dans le nouveau local des aménagements semblables à ceux de l'ancien fonds,
- frais et droits de mutation liés à l'achat du nouveau fonds,
- éventuelles indemnités de licenciement dues aux salariés, si l'éviction entraîne leur licenciement,
- indemnité pour perte de logement, quand le bail comporte des locaux d'habitation,
- frais liés au paiement d'indemnités de résiliation de contrats,
- préjudice lié à la perte d'activités accessoires (par ex., vente de tabac dans un débit de boissons...),
- indemnité de trouble commercial destinée à compenser la gêne due à l'éviction.
Le préjudice doit être évalué :
- soit au jour du départ effectif du locataire,
- soit à la date de la décision de juge, si le locataire s'y trouve encore.
Le locataire dispose de trois mois à partir du versement de l'indemnité pour libérer le local. Tant que l'indemnité ne lui a pas été versée, il ne peut pas être contraint de quitter les lieux. Il appartient au locataire de faire état de tous les postes de préjudices liés à son activité dès lors qu’il y a un lien avec l’éviction.
En cas d'absence de réinstallation les indemnités accessoires ne sont pas dues (Cour de cassation le 28 mars 2019). En l’espèce, un propriétaire avait refusé, sans motif valable, de renouveler le bail de ses locataires commerçants. Il avait donc été condamné définitivement en 2010 à payer une indemnité d’éviction aux locataires.
De manière classique et conformément à l’article L.145-14 du Code de commerce, celle-ci comprenait une indemnité principale, correspondant à la valeur du fonds,et des indemnités accessoires pour trouble commercial (il s’agit d’indemniser les locataires pour la perte d’activité liée au déménagement vers un autre local), pour frais de déménagement, et pour frais de remploi (il s’agit de couvrir les frais d’acquisition d’un nouveau fonds de commerce).
Cependant, plus de six ans après cette décision, le couple de commerçants évincés ne s’était toujours pas réinstallé. Le propriétaire a donc décidé de les assigner en remboursement des indemnités accessoires versées.
La cour d’appel leur a donné raison.
Après avoir rappelé que ces indemnités ne sont dues qu'à raison de la réinstallation du locataire, elle a jugé que le bailleur a le droit d’être remboursé s’il démontre la non réinstallation des preneurs et leur absence d’intention de se réinstaller lorsqu’ils ont reçu le paiement des indemnités.
En l’occurrence, il résulte des preuves rapportées que les anciens locataires ne se sont jamais réinstallés et qu’ils ont cherché à faire valoir leurs droits à la retraite dès 2010, tandis que l’un d’entre eux s’est inscrit à Pôle emploi fin 2014. Quant aux preuves de démarches en vue d’acquérir un fonds de commerce apportées par les anciens locataires, elles sont jugées peu sérieuses ou postérieures à l’assignation lancée en 2015 par le bailleur.
Les anciens locataires ont néanmoins formé un pourvoi en cassation, en invoquant une atteinte au principe d’autorité de la chose jugée. D’après eux, il n’est pas possible de demander le remboursement de sommes mises à la charge du bailleur par une décision de justice devenue irrévocable.
Dans un arrêt largement diffusé, la Cour de cassation rejette le pourvoi : « attendu que l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice ; qu’ayant relevé que, postérieurement à la décision du 17 juin 2010, M. et Mme B ne s’étaient pas réinstallés, la cour d’appel a légalement justifié sa décision » (Cour de cassation Troisième chambre civile 28 mars 2019, n° 17- 17501).
Jusqu’ici, la Cour de cassation avait seulement précisé que les indemnités accessoires pour frais de déménagement ou de remploi ne sont pas dues lorsque, au jour où le juge statue, la réinstallation des locataires évincés est exclue, soit que le locataire a cessé toute activité (Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 2 juillet 2013, 11-28.899), soit qu’il est en liquidation judiciaire (Cour de Cassation, Chambre civile 3, du 26 septembre 2001, 00-12.620).
Les frais de mutation ne sont pas dus si le bailleur parvient à démontrer que le preneur ne se réinstallera pas. En revanche, les frais de mutation sont dus même si le fonds n’a pas été exploité par le preneur qui s’est substitué à une société qui était en liquidation judiciaire (Cass. 3e civ. 17 novembre 2016, n° 15-19741). Le preneur peut solliciter le remboursement du droit au bail qu’il a dû régler. Si tel est le cas, la cour d’appel n’est fondée à ne retenir que 10 % du droit au bail réglé par le preneur, sauf à justifier que la quote-part du droit au bail retenue est de nature à indemniser le preneur à hauteur du préjudice effectivement subi (Cass. 3e civ. 28 janvier 2016, n° 14-24184).
En tout état de cause, le montant des indemnités accessoires peut être conséquent voire bien supérieur au montant de l’indemnité principale. Ainsi, dans le cadre de l’éviction d’une société qui réalisait des productions audiovisuelles, l’indemnité principale correspondait à zéro puisqu’il n’y avait pas de perte de fonds pour cette société qui s’est réinstallée en proche banlieue et la valeur de droit au bail était nulle puisque le loyer réglé correspondait à la valeur locative de marché. En revanche, la société locataire a obtenu des frais de réinstallation conséquents afin notamment de financer les cloisons acoustiques et le plafond suspendu propre aux studios d’enregistrement de productions audiovisuelles (CA Paris, 10 juillet 2013, n° 11/09938).
III. Cas dans lesquels l’indemnité d’éviction n’est pas due
Lorsque le bailleur entend refuser le renouvellement du bail en raison d’un motif grave et légitime, il doit en principe, préalablement, mettre en demeure le preneur d’avoir à remédier à l’infraction sous un délai d’un mois, en visant expressément l’article L. 145-17 du Code de commerce dans sa mise en demeure.À défaut, le bailleur ne sera pas fondé à exciper d’un motif grave et légitime, sauf s’il s’agit d’infractions irréversibles comme le défaut d’immatriculation à l’adresse des lieux loués ou l’absence d’appel du bailleur à concourir à l’acte de sous location.
A. Le locataire n'est pas / plus immatriculé
Afin de bénéficier du statut des baux commerciaux, il faut remplir les conditions requises et notamment celles de l’article L145-1 du Code de commerce qui dispose notamment que « Les dispositions du présent chapitre s’appliquent aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés,soit à un chef d’une entreprise immatriculée au répertoire des métiers, accomplissant ou non des actes de commerce »
Ainsi, il faut que le commerçant ou la société soit immatriculée au registre du commerce et des sociétés (RCS) ou au répertoire des métiers dans le cas d’un artisan pour les locaux concernés. Pour prétendre à l’indemnité d’éviction, il faut donc être immatriculé à la date de délivrance du congé. Il n’est pas possible d’échapper à cette condition en prétendant qu’il s’agit d’une exploitation saisonnière (Cour de cassation, chambre civile 3, 18 novembre 1998, N° de pourvoi: 96-17935). L'absence d’immatriculation à l’adresse des lieux loués à la date du congé constitue un motif grave et légitime et une immatriculation postérieure est inefficace (CA Aix-en-Provence, 15 mai 2014, n° 2014/256). De même, l’absence d’immatriculation du preneur à la date d’effet du congé constitue un motif grave et légitime, même si le preneur produit un courrier adressé au bailleur 5 ans auparavant au sujet de l’absence d’immatriculation (CA Douai, 10 juillet 2014, n° 13/02779).
B. Le locataire n’exploite plus son fonds depuis plus de trois ans
En application de l’article L145-8 du Code de commerce, le droit au renouvellement du bail ne peut être invoqué que par le propriétaire du fonds qui est exploité dans les lieux, un tiers ne peut donc demander le renouvellement. Ce fonds doit avoir fait l’objet d’une exploitation effective au cours des trois années qui ont précédé la date d’expiration du bail ou de sa prolongation sauf si le propriétaire du fonds justifie de motifs légitimes de non-exploitation.
L’exploitation effective du fonds peut être définie comme une exploitation réelle, régulière et conforme à la destination du bail. Il doit s’agir de l’exploitation d’un même fonds et non pas de plusieurs fonds créés les uns après les autres. Le rachat du fonds de commerce ne pose pas de problème car il s’agit d’un même fonds exploité peu importe que le propriétaire ait changé. Cette exploitation ne peut résulter de la seule inscription au registre du commerce et des sociétés ou au registre des métiers.
Le motif légitime de non-exploitation peut résulter notamment :
- de l’état de santé du locataire. L’état de santé ne peut justifier qu’une fermeture provisoire. Dans le cas d’une fermeture prolongée, le locataire devant alors prendre ses dispositions soit pour faire exploiter le fonds par un tiers (location-gérance, salarié) soit céder le fonds. A noter qu’il a déjà été jugé que la maladie d’un proche ne justifie pas la non-exploitation du fonds ;
- du décès du locataire. Celui-ci permet de justifier de l’arrêt de l’exploitation pendant une durée raisonnable afin de permettre aux héritiers de trouver une solution ;
- de la procédure collective du locataire mais seulement pendant la période d’observation car elle permet de réorganiser l’entreprise ;
- du suivi d’un stage de conversion ou de promotion professionnelle en application de l’article L145-43 du Code de commerce.
C. Un locataire exploitant le fonds depuis moins de trois ans et n’ayant acquis que le droit au bail
Précision très importante, la Cour de cassation refuse de considérer que le cessionnaire du bail commercial (celui qui a acquis le droit au bail) puisse compléter sa durée d’exploitation par celle du cédant (Cour de cassation, chambre civile 3, 4 mai 1994, N° de pourvoi : 91-21587). Ainsi, un droit au bail n’a véritablement de la valeur que s’il permet une exploitation de plus de trois ans, il est donc déconseillé d’acquérir un droit de bail qui a pris effet il y a plus de six ans. Toutefois, cette règle ne s’applique pas dans le cas de la cession de fonds de commerce lorsque le fonds comprend le droit au bail. Dans ce cas, le droit au renouvellement est ouvert au preneur peu importe le temps restant à courir avant la fin du bail.
L’article L144-3 du Code de commerce dispose que « Les personnes physiques ou morales qui concèdent une location-gérance doivent avoir exploité pendant deux années au moins le fonds ou l’établissement artisanal mis en gérance. » En conséquence, lorsque le fonds de commerce n’a pas été exploité plus de deux ans par son propriétaire et que celui-ci fait l’objet d’un contrat de location-gérance alors l’article ci-dessus précité n’a pas été respecté.
Le contrat est donc nul et le locataire ne peut bénéficier du droit au renouvellement. Le bailleur ne sera pas non plus tenu de verser une indemnité d’éviction (Cour de cassation, chambre civile 3, 10 janvier 1996, N° de pourvoi: 94-12348).
D. Le locataire qui donne volontairement congé
L’indemnité d’éviction est seulement due au locataire évincé c’est-à-dire à un locataire auquel il a été refusé le renouvellement. Ainsi, si c’est le locataire qui donne volontairement congé, il n’y a eu aucun refus, l’indemnité d’éviction n’est donc pas due. Il en va de même, s’il quitte volontairement les locaux.
E. Le bailleur qui justifie d’une exemption légale ou jurisprudentielle
En application de l’article L145-17 du Code de commerce 1°), le bailleur peut refuser le renouvellement du bail sans être tenu au paiement d’aucune indemnité s’il justifie d’un motif grave et légitime à l’encontre du locataire sortant.
Dans le cas où il s’agit de l’inexécution d’une obligation ou de la cessation sans raison sérieuse et légitime de l’exploitation du fonds, le bailleur devra avoir mis en demeure le locataire d’avoir à cesser cette infraction dans le délai d’un mois. Ce n’est qu’après l’expiration de ce délai, que le bailleur pourra invoquer un motif grave et légitime.
Le bailleur peut invoquer toutes les infractions au contrat de bail ou à la loi relative aux baux commerciaux. Ce sont les juges qui apprécieront si l’infraction relevée est assez grave pour justifier le refus de renouvellement. Le bailleur doit donc prendre garde à invoquer une infraction suffisamment grave et légitime pour ne pas être débouté par les juridictions.
F. La destruction des locaux
L’article 1722 du Code civil dispose que « Si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ». La destruction est également envisagée dans l’article L145-17 du Code de commerce. Ainsi, s’il est établi que l’immeuble doit être totalement ou partiellement démoli comme étant en état d’insalubrité reconnue par l’autorité administrative ou s’il est établi qu’il ne peut plus être occupé sans danger en raison de son état, le bailleur ne sera pas tenu au versement d’une indemnité d’éviction.
G. L’acquisition par le locataire des locaux loués
L’indemnité d’éviction ayant vocation à réparer le préjudice tenant à la perte du fonds de commerce ou à son déplacement par suite de l’éviction, le locataire à qui il a été refusé le renouvellement du bail ne peut se prévaloir d’une indemnité d’éviction dans le cas où il acquiert lesdits locaux (Cour de cassation, chambre civile 3, 3 mars 2009, N° de pourvoi: 08-10970).
H. La mise à disposition d’un local de remplacement
En application de l’article L145-18 du Code de commerce, le bailleur a le droit de refuser le renouvellement du bail pour construire ou reconstruire l’immeuble existant, à charge de payer au locataire évincé l’indemnité d’éviction prévue à l’article L. 145-14.
Il en est de même pour effectuer des travaux nécessitant l’évacuation des lieux compris dans un périmètre de site patrimonial remarquable et autorisés ou prescrits dans les conditions prévues audits articles.
Toutefois, le bailleur peut se soustraire au paiement de cette indemnité en offrant au locataire évincé un local correspondant à ses besoins et possibilités, situé à un emplacement équivalent. Ainsi, il existe plusieurs cas permettant au bailleur de ne pas payer d’indemnité d’éviction.
Toutefois, il est vivement recommandé au bailleur de se faire accompagner par un avocat lorsqu’il envisage un refus de renouvellement sans paiement d’une indemnité d’éviction, les conséquences financières pouvant être très importantes.
I. Autres motifs pouvant priver de l'indemnité d'éviction
Le fait de ne pas appeler le bailleur à concourir à l’acte de sous-location (formalité prévue par l’article L. 145- 31, alinéa 4, du Code de commerce) constitue également un motif grave et légitime de nature à priver le preneur de toute indemnité d’éviction. À cet égard, les différentes clauses autorisant le preneur à consentir des sous-locations ne constituent pas pour autant une renonciation du bailleur à sa faculté de concourir à l’acte de sous location. Dès lors, toute sous location qui serait autorisée sans prévoir expressément la renonciation du bailleur à concourir à l’acte de sous location, constitue une infraction irréversible et un motif grave et légitime (CA Aix-en-Provence, 28 janvier 2014, n° 13/06669).
Il en est de même si le bailleur a, dans le cadre de la clause autorisant la sous location, renoncé à toute action en réajustement de loyer, en cas de sous loyer supérieur au loyer du bail principal, sans pour autant renoncé à sa faculté de concourir à l’acte de sous location (CA Paris, 20 février 2013, n° 11/02975).Il est à noter que les juridictions caractérisent parfois l’existence d’infractions tellement graves qu’elles justifient l’absence de mise en demeure, considérant ainsi qu’il s’agit d’infractions irréversibles qui constituent un motif grave et légitime. C’est notamment ce qu’une cour d’appel a jugé lorsqu’un preneur qui avait effectué des travaux non autorisés, a proféré des menaces auprès des différents copropriétaires ainsi que des dégradations des parties communes de l’immeuble (CA Paris, 26 février 2014, n° 13/05154).
Indépendamment des infractions irréversibles, il existe un contentieux abondant sur les motifs graves et légitimes qui sont soumis à l’appréciation souveraine des juridictions du fond. Les tribunaux ont une appréciation assez restrictive des infractions contractuelles qui sont susceptibles de priver le preneur de son indemnité d’éviction. Ainsi, les travaux non autorisés par le bailleur ne constituent un motif grave et légitime que lorsqu’ils ont une importance caractérisée au regard des conséquences dommageables sur l’immeuble et lorsque le preneur a refusé de remettre les locaux en l’état malgré une mise en demeure (CA Paris, 30 janvier 2013, n° 11/08166), ou lorsque le preneur, qui avait été condamné à réaliser des travaux, s’est abstenu malgré une mise en wOctobreur.fr/ope-immo • Janvier-février 2017demeure du bailleur (CA Reims, 13 novembre 2012, n° 11/01233).
En revanche, le défaut de règlement des loyers et charges ne constitue un motif grave et légitime que lorsque le preneur a manifestement méconnu son obligation comme lorsque, par exemple, le locataire a réglé un loyer sur une base réduite pendant trois ans et demi et non sur la base du loyer qui était contractuellement dû (CA Rouen, 17 septembre 2015, n° 14/03756). Enfin, les motifs graves et légitimes ont été retenus pour défaut d’ouverture en fin de semaine et défaut d’achalandage (CA Lyon, 1er décembre 2015, n° 14/04299) ou encore un abandon d’une activité commerciale depuis plusieurs années et sous location illégale (CA Lyon, 19 février 2013, n° 11/06744).
IV. Le traitement fiscal de l’indemnité d’éviction
Le traitement fiscal de l’indemnité d’éviction diffère selon qu’il relève, d’une part, des BIC ou de l’impôt sur les sociétés ou, d’autre part, des revenus fonciers.
- Bailleur relevant des BIC ou soumis à l’impôt sur les sociétés
Dans ce cas, le traitement fiscal de l’indemnité d’éviction varie en fonction des circonstances de son versement :
- lorsque l’objectif du propriétaire est de louer l’immeuble à des conditions plus avantageuses ou de s’y installer afin d’y exercer une activité différente de celle du locataire sortant : l’indemnité d’éviction est considérée comme une charge immédiatement déductible du résultat imposable ;
- lorsque l’objectif du propriétaire est de reprendre les locaux afin de les vendre, de les démolir, d’y exercer la même activité que celle du locataire sortant ou de les affecter à un usage d’habitation : l’indemnité d’éviction est analysée comme un élément du prix de revient d’un actif.
- Bailleur relevant des revenus fonciers
Dans cette situation également, l’imposition de l’indemnité d’éviction dépend du contexte de son versement :
- lorsque l’indemnité d’éviction peut être qualifiée de dépense faite en vue de l’acquisition ou de la conservation du revenu (notamment lorsque l’objectif du propriétaire est de relouer les locaux à des conditions plus avantageuses ou d’effectuer des travaux permettant une relocation avantageuse) : l’indemnité d’éviction sera une charge déductible des recettes brutes foncières ;
- lorsque l’indemnité d’éviction peut être qualifiée de dépense personnelle ou de dépense engagée en vue de la réalisation d’une plus-value (notamment lorsque l’objectif du propriétaire est de reprendre les locaux pour son usage personnel, pour les vendre libres ou les démolir) : l’indemnité d’éviction ne sera pas considérée comme une charge déductible. À noter que dans l’hypothèse où l’indemnité d’éviction serait versée en vue de la vente des locaux par le propriétaire, celle-ci peut être prise en compte pour le calcul de la plus-value imposable résultant de la vente de ces mêmes locaux.
Du point de vue du locataire, le régime d’imposition de l’indemnité d’éviction diffère selon qu’il est soumis à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés.
- Locataire soumis à l’impôt sur le revenu
Dans cette situation, le régime d’imposition des divers éléments d’une indemnité d’éviction varie selon la nature du préjudice que cette indemnité est destinée à réparer :
- lorsqu’elle compense la perte d’un élément d’actif (notamment le droit au bail) : la fraction de l’indemnité d’éviction correspondante est assimilée à un prix de cession. En conséquence, cette fraction est imposée comme une plus-value ;
- lorsqu’elle compense une charge ou un manque à gagner (frais de remploi, frais de déménagement et de réinstallation, frais de publicité, perte de recettes commerciales, etc.) : la fraction de l’indemnité d’éviction correspondante est comprise dans le résultat imposable au taux normal.
- Locataire soumis à l’impôt sur les sociétés
Dans cette situation, l’indemnité d’éviction sera imposée au taux normal de l’impôt sur les sociétés, quelle que soit la nature du préjudice compensé par l’indemnité
Conformément aux principes dégagés par le Conseil d’État, les indemnités sont soumises à TVA uniquement si elles constituent la contrepartie d’une prestation de services individualisée rendue à celui qui la verse.À l’inverse, une indemnité qui a pour objet exclusif de réparer un préjudice n’a pas à être soumise à la TVA. Ainsi, l’indemnité d’éviction versée par le bailleur est destinée à réparer le préjudice subi par le locataire du fait de l’absence de renouvellement. Elle ne constitue pas la contrepartie d’une prestation de services et n’est donc pas soumise à TVA.
En revanche, le Conseil d’État a jugé assez récemment (CE, 27 février 2015, n° 368661, SCI Catleya) que lorsque le locataire est incité par le bailleur à libérer les lieux loués avant la date d’effet du congé qui lui a été signifiée, cette indemnité spécifique doit être soumise à TVA dans la mesure où elle constitue une prestation de services nettement individualisable rendue par le locataire au bailleur. Au cas d’espèce, le service rendu par le locataire au bailleur avait pour contrepartie le versement d’une indemnité complémentaire spécifique et distincte de celle versée au titre de l’éviction et prévue par une convention ad hoc distincte du contrat de bail commercial.
Sources : Comment est évaluée l'indemnité d'éviction d'un bail commercial ? | entreprendre.service-public.fr
Qu’est-ce qu’une indemnité d’éviction ? Par Baptiste Robelin, Avocat. (village-justice.com)
Indemnité d’éviction : prise en compte de la valeur du droit au bail - Bail | Dalloz Actualité (dalloz-actualite.fr)
Indemnité d'éviction d'un bail commercial : quelle fiscalité ? (nsavocatsparis.fr)
Le 1er août 2017 mis à jour le 2 mai 2019
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