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La créance de salaire différé


La créance de salaire différé est une rémunération a posteriori, due au descendant, qui est resté sur l'exploitation avec ses parents, et a participé gratuitement à la mise en valeur du fonds familial.

Tant qu'il n'a pas été réglé, le salaire différé est un droit de créance du descendant à l'encontre de l'ascendant-exploitant. Ce salaire ne s'impute pas sur les droits successoraux du descendant, mais s'ajoute à ceux-ci.

L’article L321-13 du code rural et de la pêche dispose que : « Les descendants d'un exploitant agricole qui, âgés de plus de dix-huit ans, participent directement et effectivement à l'exploitation, sans être associés aux bénéfices ni aux pertes et qui ne reçoivent pas de salaire en argent en contrepartie de leur collaboration, sont réputés légalement bénéficiaires d'un contrat de travail à salaire différé sans que la prise en compte de ce salaire pour la détermination des parts successorales puisse donner lieu au paiement d'une soulte à la charge des cohéritiers. »

Les bénéficiaires de cette créance sont donc :
- les descendants de l'exploitant : fils, filles, petits-fils, petites-filles ;
- le conjoint du descendant : le droit du conjoint n'est pas un droit propre, il est lié à celui du descendant.

Pour pouvoir prétendre à ce salaire différé, il faut :
- être âgé de plus de 18 ans ;
- avoir participé directement et effectivement, c'est-à-dire de façon non occasionnelle, aux travaux de l'exploitation :
- c'est au descendant qui réclame le salaire différé de faire la preuve de sa participation ;
- s'il n'est pas affilié à la Mutualité sociale agricole, en tant qu'aide familial ou associé d'exploitation, le futur bénéficiaire a intérêt à effectuer, chaque année, conjointement avec l'exploitant, une déclaration à la mairie précisant les conditions dans lesquelles il travaille sur l'exploitation familiale.
- ne pas avoir reçu de véritable salaire en argent en contrepartie de son travail :
- l'intéressement d'un associé d'exploitation ne fait pas obstacle à l'application du salaire différé (les sommes reçues au titre de l'intéressement sont déduites des sommes dues au titre du salaire) ;
- le cas échéant, c'est aux cohéritiers du demandeur du salaire différé, qui s'opposent au paiement, de prouver que celui-ci a touché une rémunération au titre de sa collaboration.

Avant la loi du 4 juillet 1980, une quatrième condition existait : il fallait que le bénéficiaire travaille habituellement sur un fonds rural au jour du décès de l'exploitant ou du règlement de la créance. Cette condition est supprimée si le décès a eu lieu après l'application de cette loi.

 

Au décès d’un exploitant agricole ses enfants revendiquent chacun une créance de salaire différé. Les juges du fond reconnaissent leur droit à une créance, les conditions étant réunies : être descendant d’un exploitant agricole, âgé de plus de 18 ans, participer directement et effectivement à l’exploitation, sans être associé aux bénéfices ni aux pertes, et ne pas recevoir de salaire en argent en contrepartie de sa collaboration (C. rur. art. L 321-13). Mais la cour d’appel en limite le montant, la période ouvrant droit à une créance ayant pour point de départ, selon elle, les 21 ans des enfants créanciers. Elle constate qu’à l’époque de leur participation à l’exploitation, la majorité était fixée à 21 ans, la loi sur la majorité à 18 ans n’étant pas encore intervenue et ne pouvant pas leur bénéficier a posteriori. La Cour de cassation casse cette décision : la condition de participation à l’exploitation après les « 18 ans » du descendant de l’exploitant est sans lien avec l’âge légal de la majorité: en vigueur à l’époque de sa collaboration (Cass. 1e civ. 26-6-2019 n° 18-19.561 F-D).,  principe déjà affirmé par la Haute Juridiction (Cass. 1e civ. 2-4-2008 n° 07-10.217 F-D).


Le montant de la créance de salaire différé correspond, pour chaque année de travail, à deux tiers de 2080 fois le taux du SMIC horaire brut, soit aujourd'hui environ 13 000 euros par an. La créance de salaire différé est plafonnée à dix ans, soit au maximum environ 130 000 euros.

Si le descendant est marié, et si son conjoint participe également à l'exploitation, chaque époux est réputé bénéficiaire d'un salaire différé calculé comme ci-dessus.

La créance de salaire différé n'est exigible qu'au décès de l'exploitant. Elle doit être revendiquée avant tout acte de partage. La créance de salaire différé étant soumise à la durée de prescription de droit commun (article 2224 du Code civil), la demande doit être formulée dans les cinq ans du décès du parent agriculteur sous peine d'être prescrite et définitivement perdue.

Lorsque plusieurs descendants peuvent prétendre au paiement du salaire différé et que l'actif successoral s'avère insuffisant pour les désintéresser totalement, les différentes créances doivent être réglées au prorata de leurs montants respectifs.

L'ascendant peut, de son vivant, notamment lors d'une installation ou d'une donation-partage, régler tout ou partie du salaire différé au bénéficiaire. Le paiement peut être fait en espèces ou sous forme d'une attribution en nature (cheptel, matériel...).

Si le descendant décède avant d'avoir réclamé le salaire différé, sa créance est transmise à ses enfants vivants ou représentés, cependant, ceux-ci perdent le bénéfice des droits au salaire s'ils n'ont jamais travaillé sur un fonds rural, à moins que, lors du règlement de la créance, de la donation-partage, ou du décès de l'exploitant, ils se trouvent encore soumis à l'obligation scolaire ou poursuivent leurs études dans un établissement d'enseignement agricole.

Le paiement du salaire différé se fait hors succession. Il ne donne lieu à la perception d'aucun droit d'enregistrement (s'il y a attribution d'un immeuble, la taxe de publicité foncière est due). Les sommes recueillies par le bénéficiaire ne sont pas imposables au titre de l'impôt sur le revenu jusqu’au 30 juin 2014. Passée cette date, il convient de distinguer deux cas de figure possibles. Si le salaire différé est dû en raison d’années de participation au travail sans rémunération qui se sont déroulées intégralement avant le 30 juin 2014, les sommes perçues continuent de bénéficier de l’exemption de l’impôt sur le revenu, quelle que soit la date de paiement effectif du salaire différé. En revanche, si les années de participation sont postérieures, même pour partie, au 30 juin 2014, les sommes perçues au titre du salaire différé seront imposables selon les règles de droit commun des traitements et salaires (cf. BOI-RSA-CHAMP-20-50-50, 20).

 

Le gendre qui a travaillé dans l’exploitation agricole de son beau-père sans être payé n’a pas droit à un salaire différé si son épouse n’y a pas travaillé concomitamment ; il peut agir en enrichissement injustifié mais sans attendre le décès de son beau-père (Cass. 1e civ. 29-5-2019 n° 18-18.376 F-PB).
Un agriculteur décède le 10 janvier 2012. Le conjoint d’une de ses filles assigne le 10 décembre 2013 les héritiers en paiement d’une créance de salaire différé pour une période allant de 1976 à 1986. À titre subsidiaire, il fait valoir une créance au titre de l’enrichissement sans cause. Il est débouté et la Cour de cassation confirme.
D’une part, le conjoint du descendant ne peut prétendre à une créance de salaire différé que s'il a travaillé, concomitamment avec celui-ci, sur l’exploitation de ses beaux-parents (C. rur. art. L 321-15). Or, le requérant sollicite ici une telle créance pour une période distincte de celle pour laquelle son épouse en bénéficiait.
D’autre part, l’action fondée sur l’enrichissement sans cause est prescrite. Celle-ci n’a pas pour objet de faire reconnaître une créance de salaire différé mais constitue une action mobilière soumise à la prescription de droit commun. Le demandeur a connu, chaque mois durant la période travaillée sans être payé, les faits lui permettant d’exercer son action. En conséquence, le délai pour agir a expiré.
S’agissant du salaire différé, la Cour de cassation rappelle une règle qui ne souffre pas d’ambiguïté. Cela dit, dès lors que le descendant de l’agriculteur travaille aussi dans l’exploitation sur la même période, son conjoint bénéficie d’un droit propre pour la durée de sa collaboration dans la limite de 10 ans. Il peut donc prétendre à un salaire différé même si le descendant, pour cette même période, ne le pourrait pas parce qu’il aurait dépassé le plafonnement de 10 ans  (Cass. 1e civ. 3-5-2000 n° 98-10.966 F-D).
Quant à l’action en enrichissement sans cause ou, depuis la réforme des contrats enrichissement injustifié (C. civ. art. 1303 s.), elle est ouverte au conjoint du descendant qui ne peut pas prétendre à un salaire différé (Cass. 1e civ. 14-3-1995 n° 93-13.410 P : D. 1996, 137, note V. Barabé-Bouchard ; RTD civ. 1996, p. 215, obs. J. Patarin).
Mais attention, nous dit l’arrêt, cette action n’est pas subsidiaire à une demande de salaire différé. Il s’agit d’une action mobilière autonome. Autrement dit, la prescription quinquennale n’est pas suspendue jusqu’au décès de l’exploitant. Elle court, conformément au droit commun, « à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer » (C. civ. art. 2224).
Elle court donc au terme de chaque mois travaillé et non payé. Là encore, la solution est juridiquement incontestable. Mais elle pourra se révéler délicate à mettre en œuvre lorsqu’elle obligera le gendre (ou la bru) à agir du vivant de ses beaux-parents pour éviter la prescription. En effet, ces liens familiaux ne figurent pas au nombre des impossibilités d’agir qui justifient la suspension de la prescription.

 

Un descendant doit revendiquer sa créance de salaire différé à compter du décès de son père dès lors qu’il a travaillé sur le fonds agricole uniquement pendant l’exploitation de ce dernier et non pendant l’exploitation par sa mère, qui a suivi (Cass. 1e civ. 17-10-2018 n° 17-26.725 F-PB).

Un couple d’agriculteurs gère successivement une même exploitation agricole : d’abord le mari jusqu’à son décès en 1976, puis l’épouse jusqu’en 2012. En 2014, deux enfants assignent leurs cohéritiers en partage et revendiquent une créance de salaire différé. Cette dernière prétention est déclarée irrecevable pour l’un d’eux, car prescrite. Pour les juges, le fils ayant travaillé uniquement pendant que son père était exploitant, la prescription a commencé à courir à compter du décès de ce dernier. Or, plus de 30 ans se sont écoulés avant la saisine du tribunal.
Le fils conteste. Pour lui, lorsque deux époux sont exploitants successivement, le créancier de salaire différé est réputé titulaire d'un seul contrat pour sa participation à l'exploitation de sorte qu'il peut exercer son droit de créance sur l'une ou l'autre des successions.
Son pourvoi est rejeté. Au cas où chacun des parents a été successivement exploitant de la même exploitation, leur descendant ne peut se prévaloir d'un unique contrat de travail à salaire différé pour exercer son droit de créance sur l'une ou l'autre des successions qu'à la condition que ce contrat ait reçu exécution au cours de l'une et de l'autre des deux périodes.
Tel n’était pas le cas en l’espèce. C’est donc à raison que la cour d’appel a fait courir la prescription à compter du décès du père.  Confirmation de jurisprudence (Cass. 1e civ. 27-2-2013 n° 11-28.359 FS-PBI : Sol. Not 4/13 inf. 99). Rappelons que depuis la réforme de 2008, la prescription de l’action en reconnaissance d’une créance de salaire différé est quinquennale.

 


Sources : La créance de salaire différé - Me Jean-François Bodet (bodet-avocat-bordeaux.fr)

Précisions sur la créance de salaire différé | EUROJURIS

Peut-on toucher un salaire différé si on a travaillé à la ferme de ses parents ? | Service-public.fr

SUCCESSION AGRICOLE ET SALAIRE DIFFERE - Ruranot

Le 5 juillet 2018 mis à jour le 1er octobre 2019

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Commentaires

31/05/2020 par Lavier Jean-Claude

Mon beau-frère demande un salaire differe,(son père est décédée en 2006. )pour les partages avec sa soeur il lui demande 67000 euros. A t'il le droit vu que sont père est décédé depuis 14ans.

01/06/2020 par fab

Les demandes de créances de salaire différé sont soumises au régime de prescription de droit commun. Jusqu’au 18 juin 2008, ces demandes se prescrivaient par un délai de 30 ans. Toutefois, l’article 2224 du Code civil dispose désormais que : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Ainsi, depuis le 19 juin 2008, les créances de salaire différé se prescrivent par un délai de 5 ans, lequel commence à courir à compter du jour de l’ouverture de la succession de l’exploitant agricole. Le nouveau délai de prescription s’applique aux prescriptions en cours à compter du 19 juin 2008, de sorte que toutes les prescriptions trentenaires à cette date se sont éteintes le 20 juin 2013. Il appartient donc à l’héritier, qui revendique le bénéfice d’une créance de salaire différé, d’en solliciter le règlement dans un délai de 5 ans à compter du décès de son ascendant, exploitant agricole. En cas de co-exploitation, le descendant est réputé titulaire d’un contrat unique de salaire différé et peut formuler sa demande de créance de salaire différé à l’encontre de l’une ou l’autre des successions. Le point de départ du délai de prescription sera donc retardé jusqu’à l’ouverture de la seconde succession. Je vous invite à vous rapprocher de votre notaire pour faire le point sur votre situation Il sera rappelé que le créancier, en fonction de ses intérêts, peut prélever tout ou partie de son salaire lors du premier décès ou du second.

04/03/2021 par chevalier

bonjour ,mon pere ,agri vient de deceder en nov 2020...j'ai travaillé aide familial 5 années ,mais mes soeurs ne veulent pas me laisser obtenir ce salaire diféré........quel courrier de demande de salaire différé doit je etablir ,et je dois faire la demande à qui? notaire ,juge ,mes soeurs?..elles refusent de signer le partage devant notaire si le salaire differé figure et elles ont dit qu'elles refuseraient au moins 5 anss jusqu'à son extinction=>que faire dans ce cas? Merci

05/03/2021 par fab

Bonjour, Je vous invite à vous rapprocher le plus rapidement possible d'un notaire de votre choix (autre que celui de vos sœurs) ou d'un avocat. Cordialement

31/05/2021 par Duboi

Bonjour Mon beau frère réclame un salaire différé de 5 ans soit de 18 à 23 ans Or à cette époque la majorité était à 21 ans et jusqu'à cet âge il était donc sous la responsabilité de son père Doit on prendre en compte un décompte de 18 à 23 ans ou de 21 à 23 ans ? Merci d'avance Cordialement

01/06/2021 par fab

Bonjour, La loi dispose que les descendants d’un exploitant agricole qui, âgés de plus 18 ans, participent directement et effectivement à l’exploitation, sans être associés aux bénéfices ni aux pertes et qui ne reçoivent pas de salaires en argent en contrepartie de leur collaboration, sont réputés légalement bénéficiaires d’un contrat de travail à salaires différés sans que la prise en compte de ce salaire pour la détermination des parts sociales puisse donner lieu au paiement d’une soulte à la charge des cohéritiers. Cordialement

25/09/2021 par LAMBERT

Bonjour, Un salaire différé payé bien après le décès du parent exploitant doit être calculé sur la base du nouveau SMIC, à la date du paiement. Le montant du salaire différé doit il être entériné par un juge pour être non contestable ? Une fois validé par voie judiciaire, le montant de la créance évolue t-elle si son paiement est retardé dans le temps et que le SMIC a augmenté ? Cordialement Lambert

26/09/2021 par fab

Bonjour, Je vous invite à contacter un avocat. Cordialement

12/10/2021 par BATARD SEVERINE

Bonjour, Les enfants d'un bénéficiaire décédé de créance de salaire différé peuvent ils en faire la demande en lieu et place de leur mère décédée, ou est-ce au conjoint survivant de le faire ? Cordialement.

13/10/2021 par fab

Bonjour, Comme indiqué dans l'article, si le descendant décède avant d'avoir réclamé le salaire différé, sa créance est transmise à ses enfants vivants ou représentés, cependant, ceux-ci perdent le bénéfice des droits au salaire s'ils n'ont jamais travaillé sur un fonds rural, à moins que, lors du règlement de la créance, de la donation-partage, ou du décès de l'exploitant, ils se trouvent encore soumis à l'obligation scolaire ou poursuivent leurs études dans un établissement d'enseignement agricole. Cordialement

18/10/2021 par seillier virginie

Bonjour, une des tantes de mon conjoint demande son salaire différé sur les années 1976-1978, son grand père est décédé en 1994 en tant qu'exploitant et nous ne savons pas si sa grand mère était co-exploitante. Des déclarations d'impositions ont été transmis comme preuve que la grand mère était co-exploitante avec les 2 signatures. Ces documents prouvent-ils le fait que la grand mère était co-exploitante? De plus la tante n'a pas demandé sont salaire différé au décès du grand père peut elle prétendre à ce dernier suite au décès de la grand mère? si oui, pour la totalité ou la moitié? Je ne peux demander à notre notaire car il ne connait pas la réponse et veut aller au plus vite dans la succession pour éviter les problèmes. je vous remercie de votre réponse. Cordialement

19/10/2021 par fab

Bonjour, Je vous invite à contacter un avocat. Cordialement

21/01/2022 par Cedric

Un concubin qui a été déclaré conjoint collaborateur peut il demander un salaire différé au décès de son partenaire ?

22/01/2022 par fab

La créance de salaire différé est une rémunération a posteriori, due au descendant, qui est resté sur l'exploitation avec ses parents, et a participé gratuitement à la mise en valeur du fonds familial. Un concubin n'est pas un descendant.

05/01/2023 par tournelle

Bonjour,la succession de mes parents est en cours,mon frère demande le paiement d'un salaire différé de 5ans .De leur vivant les parents ont fait une donation partage par notaire en 1980 et un projet de partage en 2004 refusé par mon frère.N'ayant fait aucune demande de paiement du vivant des parents,peut-il prétendre au paiement.

06/01/2023 par fab

Bonjour, Je vous invite à en discuter avec votre notaire qui connaît le dossier. Cordialement

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